Baccalauréat 2013 : Corelli, La Follia

Voyage dans la période baroque

Bertrand Porot, Université de Reims

 

 

La Follia – images
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Introduction

– La folia est un thème musical qui est un véritable « tube » à l’époque baroque, autant sa mélodie que son schéma harmonique. Elle circule dans tous les pays, dans toutes les classes de la société, et dans tous les lieux de sociabilité : la rue, la cabaret, le salon, le bal, le théâtre, sauf l’église (et encore…). Elle sert à la danse, au chant, à l’instrument, au théâtre ; elle sert à l’improvisateur, au professeur comme pièce pédagogique, enfin au compositeur.
– La folia est le prétexte à un voyage : un voyage géographique tout d’abord, car son thème et sa basse ont transité à travers l’Europe baroque : Portugal, Espagne, Italie, France, Angleterre et Allemagne.
– Un voyage musical baroque car la folia est représentative des pratiques musicales baroques : la danse (et sa musique), l’improvisation (très répandue à cette époque, un peu à la manière du jazz à notre époque), la composition à travers la variation (qui entretient des liens étroits avec l’improvisation) enfin le chant populaire, avec le vaudeville.

La période baroque

– Sans faire un exposé sur cette notion, précisons les termes qui sont employés aujourd’hui parmi les chercheurs et les journalistes : le terme de baroque a été emprunté à l’histoire de l’art (notamment aux travaux allemands comme ceux de Wölfflin) et appliqué à la musique dans les années 1950.
– L’étymologie du mot provient d’un terme de joaillerie portugais, « barocco », qui désigne des perles irrégulières et aux formes bizarres. Fin xixe et au xxe siècles, il est adopté pour qualifier l’architecture des églises en Italie (surtout à Rome) et en Allemagne. Elle semblait, en effet, « bizarre », surchargée et contournée aux yeux des historiens et du public. Mais il a été choisi pour revaloriser un art, celui des XVIIe et XVIIIe siècles, entre la Renaissance, le néo classicisme et le début du romantisme.
Image 1  : Piazza Navone, Rome

– En musique, des historiens se sont emparés du terme pour, eux aussi, qualifier une période et lui redonner tout son sens. On peut citer un pionnier : Manfred Bukofzer, « Music in the Baroque Era », 1947, dont le titre a été mal traduit en français : « La Musique baroque », J.C. Lattès, 1982. Toutefois, il faut faire une différence entre le « style » baroque et la « période » baroque. Le premier est à l’évidence d’abord romain et influence certains pays catholiques mais aussi protestants (Allemagne du Nord, avec J-S Bach). Toutefois, ce style est limité dans le temps (surtout le XVIIe) et géographiquement : la France n’est pas baroque, artistiquement parlantVoir Catherine Kintzler, Poétique de l’opéra français de Corneille à Rousseau, Paris, Minerve, 1991 et Denis Morrier, Chroniques musiciennes d’une Europe baroque, Paris, Fayard-Mirare, 2006.. Il n’y a donc pas d’unité baroque, c’est pourquoi à l’heure actuelle les chercheurs s’accordent à employer le terme pour une période historique délimitée : 1600-1750, sans connotation esthétique. Lully par exemple n’est pas un compositeur baroque, mais on peut dire qu’il a vécu à la période baroque.

Comment en caractériser sa musique et ses pratiques musicales ? La Folia nous invite à en préciser les points les plus importants.

=> Le développement de la musique instrumentale qui acquiert son autonomie par rapport au répertoire vocal (ne double plus les voix), et sort du contexte fonctionnel de la musique de danse : la musique instrumentale devient abstraite, et prend son envol par rapport au référent littéraire ou chorégraphique. C’est une sorte de révolution dont on profite encore maintenant.
=> Cette autonomie de la musique instrumentale amène à élaborer des genres comme la sonate et le concerto, genres typiquement baroques qui ont traversé toute l’histoire de la musique.
=> De même, le développement du répertoire instrumental encourage la virtuosité dans l’improvisation et dans la composition. La virtuosité rejoint le culte de l’extravagance, la « stravaganza  », que l’on retrouve aussi dans la musique vocale : pousser aussi loin que possible les limites des règles de composition dans l’harmonie (chromatisme avec Gesualdo), l’expression et le jeu instrumental Voir B. Gustafson, « La musique de chambre », La Musique instrumentale à l’époque baroque, CD Harmonia mundi, 1997, p. 23..

=> Enfin, la rupture avec l’écriture polyphonique de la Renaissance, fait émerger un dispositif musical : la basse continue (ou continuo). Il s’agit d’un accompagnement à la notation presque sténographique, et destiné à la partie de basse des compositions : celle qui mêle la basse d’archet (le violoncelle par ex.) et un instrument capable de jouer des accords (clavecin, orgue, luth et archiluth). Ces derniers sont seulement notés en chiffrages et doivent être réalisés par le continuiste.
Image 2  : début de la Folia de Corelli

=> les 2 lignes de la partition sous-entendent 3 instruments au moins (violon + violoncelle, luth, clavecin ou orgue positif).

– La focalisation sur la partie de basse qui porte les harmonies a permis le développement de l’écriture monodique (= mélodique) aussi bien à la voix qu’aux instruments.
– L’apparition de la basse continue fait émerger une structure compositionnelle : la focalisation sur les voix de dessus et de basse, même dans le cas où les voix intermédiaires ne sont pas improvisées par le continuiste. Les parties d’alto, en effet, dans bien des répertoires baroques, sont plutôt de l’ordre du remplissage que de véritables lignes de contrepoint, sauf bien sûr dans les pièces fondées sur le contrepoint ou la polyphonie (ricercare, fugue, etc.).
– Au début du XVIIe siècle, les théoriciens et musiciens classent donc les instruments : Agazzari distingue les instruments ornementaux (instruments mélodiques) et les instruments fondamentaux (ceux du continuo : clavier, basse d’archet ou basson).

=> La musique baroque rejoint en cela les autres arts : elle favorise l’aspect théâtral par la mise en valeur d’un instrument soliste (ou qques instruments) accompagné de la basse continue, elle pousse à l’ornementation et à la virtuosité, enfin elle met en place le style concertant par les dialogues entre des instruments ou entre des solistes et un orchestre (le concerto).

– La Follia de Corelli s’inscrit donc dans ce contexte. Voici le plan de notre étude à propos de la Follia et de son inscription dans la musique de l’époque baroque :

1) La première folia  : la danse, l’improvisation et l’écriture sur basse obstinée
2) La 2e folia devient une mélodie et une basse fixes
3) Virtuosité et variation chez Corelli

1) La danse et la première folia
– Il faudrait plutôt parler des folie (ou folias), et non de la folia  : en effet, nombreuses sont les versions des thèmes de la folia, avant la fin du XVIIe.
– à partir de la fin du XVIIe siècle, la folia se normalise et ne propose plus qu’un seul schéma mélodico-harmonique.

Origines

– À la fin du XVe siècle, la folia est une danse pratiquée au Portugal, dans les milieux populaires et paysansVoir Françoise Depersin, « La Folia : un kaléidoscope musical », RAM, n°68, sept 2012, p. 16-21, à qui nous empruntons les éléments historiques.. Voici ce qu’en rapporte Gian Battista Venturino, diplomate italien du pape au début des années 1570 :

La Folia consiste en huit hommes […] qui, avec cymbales et tambourins pareillement accordés, et remuant les sonnailles qu’ils ont aux pieds, fêtaient autour d’un tambour, en chantant en leur langue des versets pleins d’allégresse Cité dans Rui Vieira Nery, Altre Follie, CD Hesperion XX, Jordi Savall, Aliavox, p. 11..

– Elle est ensuite mentionnée en Espagne par des témoins (Cervantès) et s’introduit au théâtre dans les intermèdes, c’est-à-dire entre les actes d’une comédie ou d’un tragédie. Elle est récupérée par l’univers de la musique savante et aristocratique, comme souvent à l’époque baroque.
– Au début du XVIIe, sa chorégraphie est décrite plus précisément ; un auteur nous donne aussi l’explication de son nom, l’écrivain Sebastian Covarrubias, 1611 :

La Folia est une certaine danse portugaise faisant grand bruit car elle réunit beaucoup de monde avec des sonnailles aux pieds, et de nombreux instruments… et le bruit est si grand […] qu’ils ont l’air, les uns et les autres, d’avoir perdu la raison : d’où le nom de Folia donné à la danse Ibid., p. 12..

– D’autres témoignages précisent que la danse est accompagnée de la guitare (à cinq cordes), du « pandero » (sorte de tambourin) et des « sonajas » (deux disques de métal attachés par un support de bois) => des instruments à percussion, très sonores et bruyants, accentuent l’aspect de folie de la danse.
Image 3  : Pandero et sonajas

Exemple musical : Folia Rodrigo Martinez, CD Folia, J. Savall,
=> Improvisation sur un villancico de la fin XVe, Folia Rodrigo Martinez (Cancionero Musical de Palacio, 1490). Le villancico : chanson et poésie espagnole, d’origine populaire, fin XVe –> XVIIIe. Ici c’est une mélodie.
– Il ne s’agit encore que de danse et les partitions restent rares : en 1577, une folia de Francisco de Salinas, et des variations dans un manuscrit anonyme de 1593.

Pourquoi la présence de la danse ?

– La danse est une pratique de sociabilité en même temps qu’un rituel cérémoniel : elle est présente dans la vie quotidienne, depuis les classes populaires jusqu’aux cours royales et princières.
– Elle peut se concevoir selon trois fonctions :

  • fonction récréative (bals, réjouissances, tous les milieux)
    => Image 4  : Breughel de velours, danse de noce
  • fonction cérémonielle : elle fait partie de la vie de cour, et est soumise à une rigoureuse étiquette. C’est un marquage social.
    => Image 5  : danse de cour, bal du duc de Joyeuse.
  • fonction théâtrale : elles est incluse dans presque tous les spectacles du baroque : l’opéra, le théâtre, l’opéra-comique. Elle apparaît soit dans des intermèdes (souvent au théâtre ou spectacles mixtes), soit incluse dans les pièces elles-mêmes comme l’opéra français dont elle devient un ingrédient indispensable.
    => Image 6  : N. Lancret, La Camargo, vers 1730.

– Il est très difficile d’avoir des sources sur les danses et musiques de danses populaires de l’époque baroque (répertoire oral, se transmettant par les « maîtres de danse » ou encore par les musiciens ambulants). Quelques peintres se sont fait les témoins des pratiques de danse dans le peuple, comme Breughel, Rembrandt et à leur suite Watteau, mais ces témoignages sont transposés ou idéalisés, ils ne constituent pas des documents réalistes.
– Les dernières avancées de la recherche ont montré toutefois que les mêmes types de danse parcourent différents milieux : au XVIe siècle, le bal qui est pratiqué par presque toutes les couches de la société, comme activité récréative, propose à peu près les mêmes danses pour les classes humbles ou plus aisées (paysans, valets, gentilshommes, étudiants, citadins) : branle, gaillarde, volte, gavotte. Seules la basse danse et pavane sont réservées à la cour. La folia est donc une danse « inter classes ».
– Au XVIIIe siècle, on sait que le menuet par exemple est chanté et/ou dansé par le peuple aussi bien que l’aristocratie en France, avec bien sûr des différences de complexité et de raffinement selon la classe sociale. Des travaux montrent ainsi une circulation plus fluide entre ces répertoires que ce que l’on pensait auparavant : à l’époque baroque musique populaire et musique savante sont moins cloisonnées qu’aujourd’hui, ce qui est le cas de la folia.
– La danse fait partie de la vie sociale : elle participe aux fêtes des villes ou des particuliers (fêtes municipales, mariages) mais elle est aussi présente dans les célébrations que donnent les cours royales ou princières pour le peuple (naissances, mariages, victoires militaires, etc.).
– Enfin elle est une cérémonie codifiée et se transforme, à la fin du XVIIe, en rituel de cour.
– En raison de son importance sociale, artistique et musicale, la danse s’impose dans le répertoire instrumental et donne naissance à la suite de danses, plus spécifiquement française dans la 2e moitié du XVIIe siècle et au XVIIIe siècle, alors que l’Italie développe la sonate et le concerto.
– La danse de théâtre : présente dans les spectacles soit dans les intermèdes, soit intégrés. La France développe particulièrement les « divertissements » dans l’opéra et les comédies.

1) La première folia : une grille d’improvisation pour la danse

Les musiques de la folia

– Si la folia est attestée comme danse et musique dans la péninsule ibérique au XVIe siècle, c’est grâce à l’Italie que nous avons les premières œuvres musicales les plus significatives : elles se placent toujours sous l’égide de la danse, des danses qui sont jouées par la guitare espagnole à 5 chœurs. La folia voisine donc avec la sarabanda, ciaccona (chaconne) ou la passacaglia.

– Dans les folias pour guitare, la structure est harmonique et constituée d’accords, il n’y a pas de mélodie contrainte. Elle est à 3 temps, qui sont soulignés par les battues de la guitare.
– Ces folias ne comportent pas de variations : elles exposent un schéma harmonique destiné à être répété pour la danse.
– Lorsque le ou les instrumentistes accompagnent la danse, ils s’évertuent à varier les différentes présentations du schéma harmonique par des improvisations, sorte de variations non écrites.
– Les musiciens sont donc capables d’improviser : une pratique tout à fait habituelle à l’époque baroque.
– Pour aider à l’impro et pour assurer un cadre fixe à la danse, la basse (et/ou le schéma harmonique) est répétée, ce qui donne de nombreuses folias sur « basse obstinée » (à ne pas confondre avec la basse continue).

Les basses contraintes, du type passamezzo

– La folia se range dès lors dans les types de basse contrainte avec schéma harmonique sous-jacent, que Bukofzer appelle les basses du type « passamezzo » (Bukofzer, 1982, p. 51).
Image 7  : les basses obstinées au XVIIe siècle

– Elles sont héritées de la Renaissance et les plus connues sont Passamezzo antiquo (1/2 pas ancien), Passamezzo moderno, Ruggiero, Folia, Romanesca (voir mélodies dans Bukofzer, 1982, p. 50).
– Technique baroque des basses contraintes qui servent de base à des variations instrumentales ou des impro. Ces basses servent plutôt de fondement harmonique et sont très utiles pour les impro chantées des poésie populaire (Modo di cantar ottave, Calestani, 1617 : Moyens de chanter les vers ottave).
– Ce sont des mélodies de basse squelettiques avec 1 note par mesure ou toutes les 2 mesures qui indiquent la succession des harmonies. La basse n’est pas forcément répétée pdt tout la pièce.
– Un très bon exemple est donné par une œuvre de Diego Ortiz, un ricercare qui emploie une partie de la basse de folia (Trattado de glosas, ricercares sur des tenores (=airs) italiens, ricercare 8, 1553) => Partition site IMSLP.

Image 8  : Ortiz
Diego Ortiz Voir Grove’s Dictionary, 2001, vol. 18. : musicien espagnol, né à Tolède (ca 1510 – ca 1570), de la première moitié du XVIe siècle. – Position officielle importante : comme presque tous les musiciens du baroque, est employé par un patron mécène (prince ou roi). Sa vie se partage entre Espagne et Italie : il fut maître de chapelle du vice-roi de Naples (qui était espagnole à ce moment-là) de 1553 jusqu’à environ 1565.
– Il publie, en 1553, le 1er traité imprimé d’ornementation pour les instruments à archet (les violes à cette époque) : Trattado de glosas, « Traité sur l’ornementation des cadences et autres types de passages dans la musique pour violes ».
– Dans le 1er livre de cette publication : indications et conseils pour orner les musiques, avec une douzaine ou plus d’exemples d’ornementation pour une cadence ou un passage.
– Dans le 2e livre : des pièces polyphoniques pour violes et clavecin, des recercadas (ricercare), ornés à partir de musiques vocales ou de basses obstinées de passamezzo.
– le ricercare (= « recherche ») est une pièce instrumentale dont le modèle est souvent la chanson polyphonique. Il en reprend les expositions fuguées et l’écriture polyphonique et constitue un des ancêtres de la fugue au XVIIe siècle.

– Une polyphonie à 4 voix au clavecin donne une structure harmonique que l’on doit répéter alors que la basse de viole soliste joue des variations à partir de la mélodie de la folia.
Image 9  : Ortiz Ricercare 8

– Notons ici que nous restons dans l’esprit de la Renaissance : la folia se présente comme la réalisation d’une chanson polyphonique (4 voix), et un instrument se détache parce qu’il orne une des voix de cette polyphonie.
– Selon les conseils d’Ortiz, on peut doubler le clavecin par d’autres instruments : guitares, violes, violons).
– les variations du soliste sont dans l’esprit des « diminutions » : à partir des notes longues de la mélodie, on « diminue » les valeurs en respectant les notes principales. C’est une sorte de variation mélodique : on ne touche pas aux grandes structures de la pièce : la progression harmonique et la carrure rythmique.
– On peut considérer ces variations comme des improvisations notées : à cette époque, les musiciens sont capables d’orner leur partie avec un art consommé.

Exemples musicaux :
– Ortiz, Recercada seconda sobre el passamezzo moderno, basse obstinée.
– Ortiz, Recercada ottava sobre la folia : caractère dansant de la 1re folia, basse obstinée, improvisation notée.

2) La nouvelle folia  : de l’improvisation à la variation. La folia s’assagit

– Au XVIIe siècle, la folia devient donc une pièce instrumentale avec une basse obstinée (supposant un accompagnement harmonique) sur laquelle on improvise ou on écrit de variations.
– La basse se fixe à la fin du XVIIe : elle n’est plus fluctuante comme au début XVIIe siècle.

La basse obstinée ou ostinato

– La basse obstinée est un des principes de composition baroque les plus répandus : on écrit (ou on improvise) une pièce sur une mélodie de basse qui est toujours répétée. En cela elle est différente des basses contraintes de la famille des passamezzo où l’on ne répète pas toujours la basse : il s’agit plutôt d’un schéma harmonique.
– Elle s’est imposée au début du baroque comme alternative à la composition polyphonique : la basse obstinée, structurée et régulière permet la libération des parties supérieures qui peuvent désormais évoluer librement Voir dans Manfred Bukofzer, La Musique baroque, Lattès, 1982, p. 50 et sq.. La basse obstinée affirme son caractère instrumental : il est difficile à un chanteur de répéter 20 ou 30 fois la même mélodie !!
– On pourrait penser qu’il s’agisse là d’une facilité pour les compositeurs peu inspirés… Or c’est une contrainte compositionnelle qui libère au contraire la fantaisie des créateurs : la basse obstinée étant répétée, il faut sans cesse varier le reste de la musique (la mélodie par ex ou parfois l’harmonie) en jouant sur le tempo (vitesse), les figurations rythmiques, les mélodies, etc.
– La basse obstinée n’est pas seulement présent dans la folia, mais aussi dans les danses comme la chaconne et la passacaille (à 3 temps et qui progressent aussi par variations), ainsi que dans un genre vocal pathétique de l’opéra : le lamento. Celui de Didon dans Didon et Énée de Purcell est le plus connu, mais n’oublions pas les pièces magnifiques de Monteverdi (Lamento de la Ninfa, Livre VIII Madrigaux amoureux et guerriers, Venise 1638) ou Cavalli.
– Voici un exemple de basse obstinée accompagnant la Folia de Farinell, publiée chez John Playford en 1685 : Faronell’s Ground, extrait de Division Violin (Playford, Londres, 1685).
Image 10  : Faronell’s Ground, page de titre de l’édition originale (site IMSLP)

– La page de titre comporte : « The Division violon, a collection of divisions upon several grounds » : « Le violon varié, une collection de variations sur plusieurs basses obstinées (ground) ».
– Le ground est un procédé très apprécié en Angleterre : Purcell lui consacrera plusieurs pièces.
– L’éditeur dans sa préface s’explique sur cette nouvelle édition : l’ancienne est épuisée, et voyant venir l’âge et la maladie, il a à cœur de donner une nouvelle édition enrichie de nouvelles pièces et corrigée des fautes. Il nous précise aussi que les variations sur ground « ne demandent pas beaucoup de mains pour être jouées » : cette remarque – au caractère publicitaire – indique l’exécution de cette musique dans des milieux d’amateurs, pas trop fortunés et possédant par exemple 1 violon et une basse, peut-être un clavecin. C’est une musique de chambre représentative des pratiques domestiques, d’amateurs ou de professionnels.

– Playford nous indique le nom des compositeurs : le ground est de Farinell, un compositeur français : quel voyage ! La folia qui est partie d’Espagne et du Portugal, s’impose en Italie pour passer ensuite en France et faire partie d’une publication anglaise : c’est un thème européen.

Michel Farinell : musicien français, à la vie assez voyageuse (1649-1726)
– fils de Robert Farinell, un vl de la cour de Turin en Italie. Étudie à Rome avec Carissimi
– 1672 : En France, marié avec la claveciniste Marie-Anne Cambert (fille de R Cambert).
– 1675-9 : se rend au Portugal et en Angleterre.
– 1679 : Part en Espagne et devient surintendant de la reine, Marie-Louise, une française fille du duc d’Orléans.
– 1688 : A son retour, est vl à la cour, mais se retire en 1689 à Grenoble comme maître de chapelle de religieuses au convent de Montfleury.
– 1692 : « contrôleur du payeur des gages des officiers du Parlement du Dauphiné », poste qu’il quitte en 1726.
– Compose des variations sur la folia publiée par J. Playford en Angleterre. A écrit son autobiographie (perdue).

_- Dans Faronell’s ground, l’éditeur, pour gagner de la place a placé le ground (basse obstinée) dans le bas de la 2e page avec la mention « Ground bass » => la disposition typographique rend très clair la forme musicale.
Image 11  : Faronell’s ground, partition

– Si la basse se fixe, la mélodie aussi : elle désormais dans le style d’une danse lente, avec appui sur le 2e temps : elle évoque la sarabande, une danse très à la mode, à la cour, au théâtre et dans la musique instrumentale.
– Elle devient alors un thème, sujet à des variations, comme celle de Farinell. La structure est celle que nous connaissons de nos jours sous le terme de « thème et variations » : le compositeur donne d’abord un thème mélodico-harmonique qu’il varie ensuite selon sa fantaisie.

– Chez Farinell, les variations sont proches du style français : peu de virtuosité à l’italienne, variations de figures rythmiques et mélodiques principalement. Elles sont influencées par les chaconnes et passacailles de l’opéra français (Lully) et par la musique de clavecin. Mais aussi par l’air de Lully pour les hautbois (les deux variations 1 sont quasi identiques) : Farinell est en France au moment où Lully les écrit (1672).
– Remarquez une manière de varier la mélodie : la présenter une tierce plus haut (variation 4).
– Des variations exploitent la technique du violon : double cordes (var. 7), comme un trio de hautbois ou flûtes des chaconnes d’opéras, des sauts (var. 2 et 3). Cette écriture est plus idiomatique et plus « soliste » que les pièces d’orchestre française.

Exemple musical : Faronell’s Ground, extrait de Division Violin (Playford, Londres, 1685)

– Comme vous l’avez remarqué dans les variations de Farinell, la mélodie de la folia s’est fixée et elle est traitée comme matériau de variations.
– On peut donc résumer l’évolution de la folia par le tableau suivant :
Image 12  : Tableau sur l’évolution de la folia.

Folie ancienne  Folie moderne 
 XVIe – XVIIe  fin XVIIe – XVIIIe
 Schéma harmonique fixe  Mélodie et basse fixes
 Caractère : Danse vive  Caractère : Rythme de danse lente
 Écriture : Improvisation – variations  Écriture : Variations
 => Folia Rodrigo Marinez, Diego Ortiz, Recercada 8  => Farinell, Lully, Corelli

 

– Attardons nous sur ce thème : sa rythmique comparable à celle d’une sarabande est ternaire avec appui sur le 2e temps. Il est clairement en ré min, avec 2 parties symétriques de 8 mesures chacune répétant la même mélodie. La 1re partie se clôt sur la dominante (phrase ouverte : sorte de point d’interrogation), la 2e se conclut sur la tonique (phrase fermée : impression de point final) :

Image 13  : structure du thème de la folia.

Huit mesures Huit mesures
I – V I – I
Phrase ouverte = ? Phrase fermée = .

 

– Un emprunt au 3e degré donne une couleur de fa maj. C’est la nouveauté par rapport à la 1re folia Voir les analyses de F. Depersin, article cité, p. 19.. Mais le passage par le VIIe degré non altéré (ut au lieu de ut#) range ce type de progression harmonique dans un univers pré tonal, où les accords sont employés pour leur couleur, et où la modalité (ici sont employées les notes de l’échelle du mode de ré) influence encore les parcours harmoniques.

– La mélodie elle-même, en notes conjointes, dessine un mouvement d’abord ascendant puis descendant, sorte d’arche évoquant un porche

– Les variations fonctionnent ainsi comme une architecture baroque qui se déploierait dans le temps et non plus dans l’espace : comme les façades d’église qui, à partir d’une structure symétrique, donnent lieu à une profusion d’ornements et de décors, et s’animent de mouvements divers.

– C’est désormais la folia que l’Europe connaît et dont les compositeurs vont s’emparer. Ils le font sous la forme thème et variations qui laisse libre cours à leur imagination.
– Elle permet aussi de pousser loin le langage idiomatique de l’instrument (lorsqu’il s’agit d’un soliste) : elle débouche sur une exploitation virtuose.

Air des hautbois, les Folies d’Espagne de Lully

– La première apparition de la nouvelle folia semble être française : dans La Guitare royale (Paris, 1671), le guitariste Francisco Corbetta élabore une mélodie avec 2e temps pointé. Il est suivi par Jean-Baptiste Lully, dans le 2e Air des hautbois des Folies d’Espagne fait par Mr de Luly, en 1672. Cet air figure dans un manuscrit : Partition de plusieurs marches et batteries de tambour recueillies par Philidor l’aîné, conservé à la Bibliothèque de Versailles (MS mus 168).

Images 14 et 15  : Lully, air des hautbois, Les Folies d’Espagne, manuscrit, Bibliothèque de Versailles

– Il s’agit d’un recueil de pièces destinées aux armées royales et princières du XVIIe siècle, mais aussi aux divertissements qu’elle donnait (célébration de victoires, entrée de ville, marches, concerts sur le front…).
– Lully a donné plusieurs marches, et batteries de tambour pour les régiments du roi (Mousquetaires, par ex.). Il donne aussi 2 airs de hautbois (dont la destination n’est pas précisée) et le 2e est écrit sur les folies d’Espagne.
– En voici la première page ( image 14) : c’est un manuscrit et on voit bien la différence avec la partition imprimée, comme celle de Farinell-Playford, mais remarquons la magnifique écriture d’un copiste professionnel. Il appartient à l’atelier d’André-Danican Philidor, le bibliothécaire du roi.
– Ce dernier personnage (ca 1652-1730) est un musicien du roi, hautboïste et bassoniste, mais également violoniste (polyvalence courante à l’époque). En 1684, il devient garde de la Bibliothèque du roi (ancêtre de nos grandes bibliothèques musicales) ; il assure la conservation des partitions et dirige l’atelier de copie.
– Il participe à la politique royale qui a pour but de valoriser le règne des Bourbons en conservant pour la postérité les réalisations artistiques de leur règne, notamment les ballets de cour, les comédies-ballets (Molière) et les opéras.
– Sur la 1re page est indiqué le nom de la folia en français : les « Folies d’Espagne ». Il définit bien son origine pour les Français, qui devait leur sembler exotique.
– On trouve aussi indiqué « fait par Mr de Lully en trio par ordre du roi l’an 172 (pour 1672), Philidor l’aîné en ayant reçu l’ordre du roi à Saint-Germain en Laye, pour le porter à M. de Lully ».
=> Relation musicien/patron royal typique du baroque : les musiciens sont au service du roi. Mais représente aussi la confiance du roi envers Lully (1632-1687).
=> Ce dernier est dans son statut de « compositeur de la Chambre du roi » : à la cour, il n’a pas tous les pouvoirs, comme on le dit parfois, il s’occupe de la musique profane des divertissements royaux.
=> Cet air manifeste également la mode des « Folies » en France et de ce thème. Il permet les variations, alors que ce n’est pas un mode d’écriture répandue en France (sauf chaconne et passacaille).
=> la pièce est destinée aux hautbois de l’Écurie : c’est une musique sans doute de divertissement, même si elle est contenue dans une partition de marches militaires destinées aux régiments du roi. Mais pensons que l’on donnait aussi des concerts sur le front, lorsque Louis XIV est en guerre.

– L’écriture musicale : orchestre de vents à 4 parties. En effet, « hautbois » désigne la famille qui comprend plusieurs tailles : dessus de hautbois, ténor, et basse qui est la basson à l’époque de Lully. Il n’existe pas d’ « alto » (haute-contre) de hautbois.
– C’est en « trio » (3 + la basse) pour Lully, car il n’écrit pas pour l’orchestre des 24 violons (la Bandes des 24 violons du roi) qui demande 5 parties (4+ la basse). Les clés indiquent les instruments : le dessus (sol 1), dessus 2 (ut 1), ténor (ut 3), et la basse (fa 4). Selon la tradition en France, il n’y a pas d’instrument polyphonique de basse continue.
– On voit bien la polarisation entre dessus et basse, les parties intermédiaires étant de remplissage.
– Lully donne 2 variations après le thème : l’une met en valeur le dessus de hautbois, et la 2e la basse, c’est-à-dire le basson ou la basse d’archet (le clavecin n’est pas tjrs présent dans les pièces instrumentales en France, comme l’a montré la recherche récente).

– Les style de variations est français : proche des chaconnes et passacailles des opéras.
– Remarquez le 1er couplet qui est le même que celui de Farinell.

Exemple musical : Air des hautbois, les Folies d’Espagne de Lully

Le caractère de la folia influence la danse instrumentale
– La folia est encore dansée au XVIIIe siècle (exemples de chorégraphie de Feuillet et Traubert début XVIIIe, danse de corde à la Foire début XVIIIe) : son lien avec la danse reste fort et influence certaines pièces, comme la sarabande en ré mineur de Haendel, pour la suite de clavecin éditée en 1733, H437.
Image 16  : portrait de Haendel

– Ici le compositeur suit de manière assez libre les harmonies de la folia, et ne reprend pas la mélodie qui a cours dès la fin du XVIIe siècle. Il garde l’atmosphère de danse lente de la folia, qui s’était imposée à la même époque : une danse noble, proche de la sarabande.
– Celle-ci d’ailleurs était aussi d’origine espagnole, et au début agitée, vive et avec des gestes obscènes (on ne sais pas lesquels…). Elle s’assagit au XVIIe siècle et en France devient une danse de cour et de théâtre, lente et raffinée avec un accent sur le 2e temps caractéristique. Dans la musique instrumentale, elle fait partie de la suite de danses, comme mouvement lent :

Exemple musical : Haendel, sarabande pour clavecin en min, livre de 1733, suite en mineur, H437.

– La sarabande de Haendel est de forme AB, les carrures sont régulières (8 mesures). Par rapport à la folia traditionnelle : on retrouve le rythme de sarabande, mais l’harmonie et la mélodie sont différentes. Elle est suivie de 2 variations, la 2e pour la basse comme chez Lully.

Héritage chez S. Kubrick : Barry Lyndon

Image 17  : Images de Barry Lyndon de S. Kubrick.

Barry Lyndon (1975) est un film historique anglo-américain de Stanley Kubrick, adapté du roman picaresque de William Makepeace Thackeray, Mémoires de Barry Lyndon (1844).
– Le film met en scène un héros sans le sou, l’Irlandais Redmond Barry (Ryan O’Neal) : il connaît un parcours chaotique, autant par son audace déployée pour figurer dans la société aristocratique anglaise du XVIIIe siècle jusqu’à sa déchéance, après s’être marié avec une riche lady (Marisa Berenson) qui lui a apporté une fortune considérable et donné un fils.
– Contrairement à ses films précédents, Kubrick choisit des musiques d’époque et non une partition originale. « Dans 2001, j’ai utilisé Ligeti, compositeur contemporain. Mais si l’on veut utiliser de la musique symphonique, pourquoi le demander à un compositeur qui de toute évidence ne peut rivaliser avec les grands musiciens du passé ? Et c’est un tel pari que de commander une partition originale. Elle est toujours faite au dernier moment, et si elle ne vous convient pas, vous n’avez plus le temps d’en changer. Mais quand la musique convient à un film, elle lui ajoute une dimension que rien d’autre ne pourrait lui donner. Elle est de toute première importance » (Stanley Kubrick in Ciment 2004).

– Dans son film Barry Lyndon, Kubrick s’est emparé de cette musique pour en faire un élément de la dramaturgie : elle est le symbole du destin et de la fin malheureuse du héros qui est obligé de se séparer de sa femme et de sa vie facile ; il reprend une carrière aventureuse de joueur.
– La sarabande-folia est aussi le symbole de la société du XVIIIe : ici c’est la danse qui a séduit, une sarabande lente, majestueuse.
– La transcription qu’a demandée Kubrick de la sarabande pour clavecin s’inscrit dans l’esthétique de la musique de film du XXe siècle (héritée de Malher, Bruckner, comme la pratique Bernard Herrmann (1911-1975) chez Hitchcock). Elle est prévue pour un orchestre symphonique, avec de nombreuses cordes et des percussions (timbales), le tempo est lent, accentuant l’aspect menaçant, enfin l’interprétation repose sur le legato romantique, hérité de la tradition des orchestre symphoniques post-romantiques.
=> pièce inquiétante, lourde de menaces bien loin de la folia baroque !
Exemple musical : Haendel, Sarabande, musique pour le film Barry Lyndon (téléchargement payant sur Internet).

3) La variation : vers la virtuosité avec Corelli

La sonate de soliste : commence à prendre une grande faveur, en Italie le vl s’impose
– Corelli : 12 sonate a violino, op. V, Rome, 1700. L’opus V propose 12 sonates pour vl et continuo (la 12e est constituée par les variations sur folia).
– Dans l’esprit de Corelli, ce sont plutôt des duos pour vl et violoncelle, et ils n’ont pas besoin d’accompagnement Voir Peter Allsop, Grove’s Dictionary, op. cit., ce qui explique la partie élaborée du vlc dans la Folia.
– 1 sommet dans la littérature de vl qui s’était développée depuis le débit du XVIIe avec Biaggio Marini et Giovanni Cima

Image 18  : Corelli, éléments biographiques

Arcangelo Corelli (1653-1713)
– Le compositeur le plus influent de l’ère baroque
– Peu de choses sont connues sur ses années de jeunesse
– 1675, il est à Rome comme violoniste pour des théâtres et des églises. Exemple de musicien porté par le mécénat romain, celui des princes de l’Église.
– Puis est employé par de grands personnages romains, des mécènes, comme instrumentiste, compositeur et organisateur de concerts et d’opéra.
– Notamment employé par le cardinal Pamphili d’une haute famille aristocratique romaine. Dans son palais ont lieu des concerts le dimanche. De plus il possède un théâtre privé et organise des fêtes très courues. Musiciens auxquels il fait appel : A. Scarlatti, Haendel. Corelli y dirige l’orchestre. Puis employé par le carinal Ottoboni (neveu du pape…).
– Les dédicaces de ses œuvres attestent de ces différents emplois. Pour la reine Christine de Suède (résidente à Rome et première mécène du musicien) : Sonates en trio, op. I, 1681. Pour le cardinal Ottoboni : 1694, Sonates en trio op. IV
Œuvres (éditées, celles en manuscrit ayant disparu)
– Sonates en trio : op. I, (1681), op. II (1685), op. III (1689), op. IV (1694). 12 sonates par publication = 48 sonates
– Sonates pour violon solo : op. V (1700)
– Concerti grossi : op. VI (1714, posthume)
=> Grande influence en Europe, de nombreux élèves italiens et français (Op. V est réédité 42 fois au XVIIIe).

– L’Op. V est un « tube » de l’époque baroque : il a été appréciée par tous les musiciens et mélomanes de l’Europe, y compris en France qui commence à s’ouvrir au répertoire italien après la mort de Lully. L’op. V a influencé les compositeurs : c’est un modèle.

Les variations sur la « Follia », 12e pièce de l’op. V

– La partition : dédiée à Sophie-Charlotte, Électrice de Brandebourg (en Prusse, princesse musicienne, qui apprécie l’art italien).
– C’est une partition gravée (et non imprimée) magnifique à la lecture aisée (≠ des manuscrits italiens bien moins clairs !). Ce support, qui revient assez cher à l’époque – plus cher qu’une partition manuscrite –, permet de faire circuler cette musique, bien plus qu’un manuscrit. Il s’agit aussi d’une mise au propre du vivant de l’auteur qui peut contrôler l’édition et empêcher la propagation de fautes. Une telle édition permet ainsi de protéger son statut d’auteur, en empêchant la circulation de copies manuscrites anonymes ou attribuées à quelqu’un d’autre.
– 23 Variations qui sont organisées à la manière d’une sonate aux mouvements contrastés :

Image 19  : Corelli, structure des variations sur la folia.

Introduction lente/vif contrastes de tempi vif
Thème-variation 1/var 2-7
8 séquences
var 8-15
8 séquences
var 16-23
8 séquences


Tableau : macrostructure de la Follia de Corelli, op. V, n°12.

 

– Corelli reprend les principes de la tradition : variations dans les figures de rythmes et de mélodies, mais rajoutent des éléments de son crû.
– Il joue sur les paramètres suivants dans ses variations :

  • tempi : d’adagio à allegro : Allegro (var. 2, 10), Adagio (8, 14), vivace (9), Andante (11). La majorité est de tempo vif.
  • harmonie pour 5 variations *métrique pour 3 : 3/8 (var 10), 12/8 (var 13 ce qui bascule vers le binaire composé), 9/8 (var 19) : cette dernière mesure est celle de la gigue !
  • rythme : figurations rythmiques variés, des contretemps, syncopes qui brisent la monotonie.
  • mélodie : principe de la variation mélodique : arpèges et ≠ figures autour des notes pivots de la mélodie.
    – Écriture idiomatique de violon : *double ou triple cordes (deux ou 3 cordes jouées ensemble) :
    Image 20  : double cordes
  • batterie de notes répétées, arpèges rapides, polyphonie figurée à 2 voix :
    Image 21  : notes répétées

– Fantaisie dans la conception des variations, à la différence de Farinell et Lully.

Deux éléments très originaux, et à l’esprit baroque :

  • Contraste de forme pour 2 variations qui ne correspondent pas à la carrure : Corelli insère même une gigue à l’italienne en 9/8 de forme binaire AB var 19-20 ! Il rattrape ainsi l’esprit de la sonate avec ses différents mouvements. Image 22  : gigue à 9/8

– la basse participe aux variations, elle dialogue avec le vl solo. Corelli a d’ailleurs envisagé l’op. V comme des sonates vl/vlc, sans obligation de clavecin (voir p. de titre de l’éd. 1700). Il s’agit du principe concertant si cher au baroque.

– À la suite de Corelli : sa Follia a impressionné le monde musical, et des compositeurs l’ont transcrite :

  • Francesco Geminiani, en concerto grosso, Londres, Walsh, sd
  • Six solos pur flûte et basse, Londres, Walsh and Hare, 1702.

Conclusion

1) Danse vive et emportée (la « folie »), d’essence populaire dans la péninsule ibérique (Portugal au départ) => la folia s’assagit lorsque elle est adoptée dans les milieux plus aristocratiques et lorsque elle est employée dans la musique savante. Témoignage de la circulation de musiques dans ≠ milieux et dans ≠ pays.

2) Les deux folias
– Au départ : une basse obstinée avec schéma harmonique qui permet des improvisations soit pour les danseurs, soit pour les concerts (Ortiz). C’est la 1re folia.
– Évolution fin XVIIe : la folia se « standardise » : sa mélodie et sa basse se fixent. Son caractère devient noble et lent, et est proche de la sarabande. C’est la 2e folia.

3) Thème et variations : ce 2e thème est utilisé par un grand nombre de compositeurs pour des variations virtuoses (Corelli), sorte de consécration de l’improvisation (ce sont des impros élaborées et notées), typiques de l’époque baroque.
Ces variations exploitent les ressources de l’instrument en mettant l’interprète et sa virtuosité en valeur.
=> C’est un parcours « baroque » : de la danse à l’improvisation débouchant sur la variation et la virtuosité.

Sitographie

IMSLP :

Pour aller plus loin : bibliographie

Manfred Bukofzer, La Musique baroque, Lattès, 1982.

Françoise Depersin, « La Folia : un kaléidoscope musical », Revue d’analyse musicale, n°68, sept 2012, p. 16-21.

Frédéric Gonin, « L’art de la variation dans la Follia de Corelli », Revue d’analyse musicale, n°68, sept 2012, p. 9-15.

Richard Hudson, « The Folia Melodies », Acta musicologica, vol. 45, 1973.

  • « The “Folia” Dance and the “Folia” Formula in 17th Century Guitar Music », Musica Disciplina, vol. 25, 1971, p. 199-221.

Denis Morrier, Chroniques musiciennes d’une Europe baroque, Paris, Fayard-Mirare, 2006.

Œuvres musicales

– Anonyme : Folia Rodrigo Martinez, CD Folia, J. Savall, Aliavox, 1998.
– Ortiz, Recercada seconda sobre el passamezzo moderno, Neuf Ricercares sur des airs italiens
– Ortiz, Recercada ottava sobre la folia, Neuf Ricercares sur des airs italiens, CD Folia, J. Savall, Aliavox.
– Michel Farinell, Faronell’s Ground, Division Violin de J. Playford, CD Altre Folia, J. Savall, Aliavox, 2005.
– Jean-Baptiste Lully, 2e Air des hautbois des Folies d’Espagne fait par Mr de Luly, en 1672, Partition de plusieurs marches et batteries de tambour recueillies par Philidor l’aîné, manuscrit, Bibliothèque de Versailles (MS mus 168).
– Georges-Frédéric Haendel sarabande en mineur, suite n° 4, livre de 1733, H437.
– Arcangelo Corelli, Follia, Sonate a violino e violone o cimablo, op. v, Rome, 1700, CD Altre Folia, J. Savall, Aliavox, 2005.

Bertrand Porot, Université de Reims